Scinder la classe pour mieux apprendre à lire ?

C’est la question posée par Esther Duflo, la célèbre économiste qui teste ses hypothèses sur un très grand nombre d’individus et de manière randomisée, afin de pouvoir faire des statistiques et tirer des conclusions.

En Inde, seuls 50% des écoliers de niveau CM2 sont capables de lire un paragraphe simple alors que 97% des enfants vont à l’école et que le métier d’enseignant est valorisé et plutôt bien payé. Esther Duflo et son équipe se sont alors posé la question suivante : Comment faire progresser les élèves en lecture : scinder la classe en deux ou changer la pédagogie ? L’évaluation a consisté à comparer les résultats en lecture obtenus au bout d’une année par des groupes contrôles (avec la pédagogie habituelle) à ceux obtenus par des groupes tests (avec la nouvelle pédagogie).

Scinder la classe

De façon surprenante pour nous français, qui parlons toujours de surcharge des classes, diminuer de moitié le nombre d’élèves dans une classe ne produit aucune amélioration significative sur l’apprentissage de la lecture. Les meilleurs élèves en profitent un peu mais les moins bons pas du tout. On peut se demander si passer d’environ 80 élèves par classe à 40 est une réduction suffisante pour tirer des conclusions. Il faut toutefois se rappeler que les élèves indiens sont très disciplinés …

Changer la pédagogie

L’équipe associée à l’ONG Pratham, a mis au point un protocole appelé « Teaching at the right level » (TaRL) c’est-à-dire enseigner au niveau qui correspond à celui de l’élève. Les élèves d’une classe sont répartis en groupes suivant leur niveau et non pas suivant leur âge. Par exemple le premier groupe a pour objectif d’apprendre les lettres. Une fois qu’un élève de ce groupe sait reconnaitre et lire les lettres, il passe dans le groupe des mots. Une fois qu’un élève lit correctement les mots et en comprend le sens lors de leur lecture, il passe dans le groupe des phrases… Il y a donc une réallocation permanente des élèves suivant leur niveau. Preuves rationnelles à l’appui, cela marche. Même l’élève le plus lent finit toujours par passer dans un groupe supérieur et par acquérir la lecture.

Généraliser à tous les écoliers

Le protocole « Teaching at the right level » a d’abord été testé sur des centaines d’enfants dans trois régions différentes de l’Inde, en dehors de l’école et hors temps scolaire (50 jours/an, 2h/jour) avec des enseignants extérieurs formés par Pratham. Il a donné les bons résultats évoqués ci-dessus. Cependant cette expérience, basée sur le volontariat des élèves, n’a concerné que 10% des élèves. Pour toucher un plus grand nombre d’élèves, l’équipe a transféré ce protocole dans les écoles publiques, pendant le temps scolaire. Les professeurs habituels de la classe ont accepté de se former et de changer leur pratique. Et là rien n’a marché. Pourquoi ? Parce que les professeurs indiens ont un programme exigeant à respecter et ne trouvent pas le temps de faire la pédagogie Teaching at the right level. Ah, la tyrannie du programme !

Les verrous à lever

En Inde le système scolaire est hérité de la colonisation. Le but de l’école était alors de former une petite élite de clercs capables de faire fonctionner le pays. Depuis rien n’a vraiment changé. Le programme du primaire est « hallucinant », et les enfants ne redoublent jamais. Seule une toute petite fraction des élèves réussit et le cursus scolaire du reste des individus a peu d’importance. Mais n’est-ce vrai que pour les pays qui ont été colonisés ? Est-il raisonnable qu’en France les élèves doivent apprendre à lire en 9 mois ou bien jamais ? A qui profite cette rigidité ?

1. Symposium « Rôle de l’expérimentation dans le système éducatif », conférence d’Esther Duflo : Comment généraliser une expérience réussie : l’exemple du soutien scolaire. https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/symposium-2018-02-01-15h00.htm
2. Teaching at the right level : https://www.pratham.org/programs/education/elementary/
3. Banerjee, Abhijit V., Cole, Shawn, Duflo, Esther, Linden, Leigh. Remedying Education: Evidence from Two Randomized Experiments in India. The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, 2007 122 : 1235–64.
4. Duflo E, Dupas P, Kremer M. School governance, teacher incentives, and pupil–teacher ratios: Experimental evidence from Kenyan primary schools. J. Public Economics, 2015, 123 : 92-110.

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